Qui c'est là ? par Anouk Grinberg

Qui c’est là ? Je crois que c’est nous, la vie, quand on s’arrête, qu’on s’éloigne, qu’on ne joue plus, qu’on ne veut plus, qu’on est des hommes justement. Il y a des moments où avec le monde ou les autres, il n’y a plus aucun arrangement possible, la colère est trop grande, ou ça s’appelle la peine je ne sais pas, mais à nous tous, ça pourrait allumer des villes entières.

En fait, ces gens noirs – famille nombreuse – ont une sacrée musique à l’intérieur. Leurs cris, ou leurs baillons d’hommes peureux mais irréductibles,  d’hommes chaleureux et transparents, font la beauté du monde – en tout cas, ce n’est pas eux qui la défont.

Parce que… ne pas pouvoir, ne pas comprendre, ne pas en être, c’est aussi une forme de santé. Et la levée des masques, c’est plutôt un signe de puissance et de cœur, une forme de résistance contrairement aux apparences.

Je veux dessiner le dedans que je sens tellement, la vie fait tant d’effets ! — pensées, choses qui coulent, qui montent, pressent, fument, sortent, et puis la paix, nos cantates naturelles, mais le tout qui bouge, tout le temps et en tous sens. C’est ça qui m’obsède. Faire une saisie du dedans en mouvement.

Il y a des gueules froissées, cachées, fichues, des bouches cousues, qu’on s’est cousues, par courtoisie et puis c’est pas la peine. Il y a des yeux clos, pour se calmer. Il y a de l’effroi, on croit parfois qu’on va en mourir, mais non, tout bouge et se métamorphose, déjà ça a changé, c’est miraculeux ce qu’on est vivant. D’autres sont bien au delà, tranquilles maintenant ; et puis il y a les enfants.

Au début, c’est souvent rapide, comme une cascade ou un tonnerre. Des sensations, des souvenirs qui me descendent dans les doigts, me sortent par les yeux, choisissent les craies, les gestes, les feuilles. C’est plutôt les bonhommes qui se font, et moi qui accompagne. J’ai intérêt à aller très vite, parce qu’ils sont souvent pressés de sortir, d’en finir avec ce qui les occupe.

Une fois que j’ai à peu près compris ce qu’ils veulent dire, je deviens géomètre, je plante les vrais empêchements d’où naitront les rigoles par où ça va jaillir, j’étire, je plisse, je les creuse, c’est très épidermique, et si ça sort ailleurs, j’applaudis ce qui m’échappe ; je veux qu’ils aient leurs chances, que le temps fasse son travail, lent, rapide, mais laboure, érode.  Ça me semble très réaliste.

Je suis dans une complète proximité avec ce qui arrive — quasi calcaire — (tant de choses accumulées apparemment) et en même temps, je ne suis pas dupe des sentiments, je sais que la vérité est souvent le stéréotype de la vérité. Alors je passe au tamis l’expression, trop tue. C’est la lutte constante (et calme) contre le rien qui menace tout, ou le trop plein, le bavardage des émotions. Je cache, je n’aime pas les confessions, j’aime leur pudeur.

Leurs secrets, que je comprends comme une bestiole mais pas plus, doivent rester ce qu’ils sont, secrets. Si je les fiche, c’est foutu, ils n’ont plus aucune voie de sortie.

A bas l’épinglage des papillons, à bas la psychologie, à bas les discours.

Ça se passe dans un silence total, merveilleux pour moi. C’est gai même si c’est triste, c’est pas grave quand c’est raté, j’ai tout le temps, la nappe des sentiments me passe au travers, j’oublie tout, je pense à tout, c’est comme une empathie volcanique qui trouve curieusement un asile dans les craies.

Souvent c’est une portée de chatons, il y en a quatre, cinq d’un coup, mais qui se ressemblent pas.

J’aime tout avec les pastels. Ils répondent tout de suite mais à pas de velours, c’est profond comme la matière humaine, ça va dans l’entre deux et même plus loin, c’est très doux, je touche, ils me touchent, ils sont d’emblée comme un souvenir, ils sont fragiles, je comprends pas les règles, et ça me plait de les inventer. Et chaque fois, j’oublie ce que j’avais trouvé.

Quel rapport avec la comédie ? Ben, sincèrement, je n’en vois pas beaucoup. Sauf que jouer, contrairement aux apparences, est une activité assez éloignée du mensonge, assez proche de la spéléologie finalement ; on entre dans la peau des autres, on sait très bien que parler ne veut presque rien dire, alors on va derrière, on se défait d’un savoir pour être bons compagnons, on endosse des secrets, on rit, on pleure. On est des tuyaux par lesquels les autres passent.

Donc oui, ça a à voir.

Bien sûr, ma description du métier est très idyllique. Dans la réalité, c’est plus rude. Tant de bêtises, tant de folie, tant de foutaises et de jeux en spirales qui gâchent la beauté.

Alors je m’en vais un peu plus loin, et je dessine.

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :